Controversé ou adulé, pourquoi le groupe NewJeans fait-il autant parler ?
Nos reines du streaming et des théories de fans
Il s’est passé un peu plus de six mois depuis leur lancement, mais le girlband coréen NewJeans est déjà l’un des groupes les plus importants de l’industrie k-pop. Avec six (!!) titres classés simultanément dans les classements coréens et internationaux, les filles de NewJeans sont devenues un phénomène de société en un temps record.
C’est à dire que de mémoire de fan, on n’avait jamais vu un groupe de pop coréenne aussi singulièrement différent des autres. De loin, ce sont juste cinq (très) jeunes filles qui chantent et dansent sur les plateaux télé. Mais en y regardant de plus près, rien ne se passe tout à fait comme d’habitude avec la gestion de ce groupe.
Min Hee-jin, le cerveau
Au printemps et au début de l’été dernier, tous les fans de k-pop ont les yeux rivés sur l’actu d’un nouveau label : ADOR. Sous-division de HYBE (la célèbre maison de disques du groupe BTS), ADOR allait lancer son girlband, dont on ne connaissait ni le nom, ni les membres. Seule information sur ce mystérieux lancement : on connait très bien la présidente du label : Min Hee-jin.
Min Hee-jin, la petite quarantaine, est la femme la plus puissante de l’industrie k-pop. Après 15 ans de bons et loyaux services pour le mastodonte SM Entertainement, elle plaque l’agence à la suite d’un burnout, et se fait aussitôt embaucher par la concurrence, soit Big Hit Entertainment en 2019, pour penser tout le rebranding du label.
Le passage de Big Hit à HYBE, du changement de nom à la nouvelle charte graphique en passant par le design des nouveaux bureaux, on le doit à ce bourreau de travail devenu le cerveau le plus convoité du music business coréen.
Chez SM Entertainment, c’est elle qui a façonné l’image (les pochettes d’albums, les looks, les MV) des groupes les plus iconiques de la 2ème et 3ème génération d’artistes k-pop : Girls’ Generation, SHINee, f(x), EXO ou Red Velvet. En arrivant chez HYBE, qu’elle re-décore du sol au plafond, elle se voit très vite confier un sous-label indépendant, qu’elle appellera ADOR (pour All Doors One Room).
K-pop nouvelle formule
Avant même qu’on connaisse le nom de NewJeans, les fans de k-pop connaissaient donc déjà la réputation de leur patronne. Le 22 juillet dernier, sans aucun teaser, le MV de “Attention” débarque sur YouTube. Puis le lendemain, quatre autres MV sortent simultanément, pour le titre “Hype Boy”. Chacun des MV suit une membre différente du groupe, qu’on apprend alors à connaître. Les filles sont très très jeunes (elles ont entre 14 et 18 ans), et la musique est dingue.
Le son NewJeans, c’est un mélange de l’esthétique Y2K (le son pop de la fin des années 90 et du début des années 2000) et de la pop coréenne. Minimalistes mais hyper dansants, les titres “Attention”, et “Hype Boy” ont été pensés pour être des cartons de streaming. Sorte de chainon manquant entre la k-pop et le r’n’b style Ariana Grande ou Doja Cat, le moodboard sonore de NewJeans est étudié pour que personne n’y résiste, d’Est en Ouest. Et ça marche : le nouveau girlband vient rapidement tenir compagnie à Blackpink dans les classements du monde entier.
Tout est parfait. Les filles sont cool et ultra mignonnes, les chorés sont adorables, leurs looks d’ados casual et décontractées en font des icônes générationnelles quasi instantanées. Les marques leurs font les yeux doux, les émissions télé s’enchainent. Mais très vite, une rumeur de mécontentement bruisse chez les fans. Car les paroles d’une chanson posent sérieusement problème.
Le “Cookie” de la discorde
“Cookie”, l’un des titres de leur premier mini-album, est aussi sautillant et irrésistible que ses paroles sont problématiques et commencent à donner des sueurs froides à tout le monde. Car dans le jargon anglo-saxon, la définition de “manger mon cookie” n’a plus grand chose à voir avec un atelier pâtisserie. Et faire chanter des métaphores culinaires salaces à des gamines mineures, ça ne passe pas.
C’est à ce moment-là qu’une partie de la fanbase de NewJeans entre ouvertement en conflit avec la patronne Min Hee-jin, qui refuse de voir où est le problème, botte en touche en expliquant que la chanson a été écrite sans arrières pensées, qui plus est par des femmes. Et menace de représailles juridiques tous les haters qui en feraient un peu trop.
Car Min Hee-jin couve ses artistes comme ses propres bébés. NewJeans, c’est sa vision, son groupe. A tel point que les fans commencent à la trouver trop envahissante. De plus, son obsession pour les représentations de la femme-enfant sexualisée dans l’art (elle cite Nabokov, écoute Gainsbourg, aime des films italiens 70s déviants…) la rendent d’autant plus inquiétante aux yeux du grand public.
L’ère de la bizarrerie
Malgré la polémique, NewJeans ont pris la tête des classements coréens depuis des mois, pour ne plus jamais laisser la quitter. Et un nouveau titre furieusement romantique et mélancolique, “Ditto”, vient cueillir les derniers réfractaires à la fin de l’année 2022. Le titre est accompagné de deux MV différents, qui déroulent l’étrange histoire d’une lycéenne qui passe son temps avec les filles du groupe et se filme des souvenirs de leur vie scolaire.
L’ambiance à la fois bizarre, inquiétante et nostalgique des deux MV, montés différemment comme les deux facettes d’un scénario diffracté, met les fans dans tous leurs états. On ne comprend pas tout à fait ce qui se déroule sous nos yeux, et sur les forums, chaque fan partage sa théorie, allant du macabre aux scénarios les plus farfelus. La présence de l’actrice Park Ji Hoo (de la série All of Us are Dead) au casting accentue encore l’excitation autour de la signification mystérieuse du MV.
Au final, on apprendra dans une interview du réalisateur que le clip est une allégorie sur les relations entre les fans et leurs idols.
Quelques semaines plus tard, c’est la vidéo d’un nouveau titre, “OMG”, qui relance les débats. On y voit les filles de NewJeans dans la salle de repos d’un hôpital psychiatrique, chacune se battant avec son imagination délirante. A mi-chemin entre l’étrangeté et le clin d’oeil méta, le clip (apparemment inspiré du film I’m a Cyborg but that’s OK) est une succession de messages codés adressés aux fans et aux haters du groupe.
Parmi ces messages, celui de la toute fin du clip, s’adresse à la horde de fans qui s’étaient plaint du caractère salace de “Cookie”, et de l’ambiance lugubre du clip de “Ditto”. En faisant passer les commentaires haineux des réseaux pour des épisodes psychotiques de malades mentaux, Min Hee-jin règle ses comptes une bonne fois pour toutes avec ses détracteurs.
On l’aura compris, NewJeans est donc bien plus qu’un groupe de k-pop comme les autres. Seulement six mois se sont écoulés depuis leur lancement, et déjà on peut voir les visuels, le message et le son évoluer progressivement vers quelque chose de plus sophistiqué et barré. C’est devenu flagrant : avec NewJeans, Min Hee-jin veut instaurer une conversation entre les fans, l’industrie et les artistes, par le biais d’une musique excitante et de vidéos aux concepts innovants.
Adulée pour son acuité artistique, ou détestée pour avoir fait de NewJeans des marionnettes au service de sa vision de démiurge revancharde, Min Hee-jin a en tout cas fait exploser les limites du genre : jamais auparavant des artistes k-pop ne s’étaient aventurés sur des territoires et des thématiques d’habitude réservés aux artistes ou cinéastes indépendants. Désormais, les fans et toute l’industrie musicale ont hâte de voir quelle direction prendra le groupe ces prochains mois, et quel sera le nouveau statement de la grande patronne de la k-pop.