“J’ai plus de 40 ans et je suis fan de k-pop”. Si le titre sonne comme ces émissions de témoignages des après-midi de France 2, c’est que la chose n’a rien d’évident.
J’ai découvert la k-pop au printemps 2011. J’étais alors un “plus très jeune” gay de 32 ans qui se prenait en pleine tronche la seconde génération de groupes tels que Girls’ Generation, SHINee, 2NE1, Bigbang ou T-ara, ce que les anciens appellent aujourd’hui “l’âge d’or”. C’était comment, votre première fois en k-pop ? Pour moi à l’époque, c’était la panique la plus totale dans mon cerveau : mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? Pourquoi personne ne m’a parlé de ça ? En tout cas, force est de constater que plus de 10 ans après ma découverte de la pop coréenne, je suis toujours dans le même état amoureux.
Les premiers jours, ce fut une claque sonore et visuelle telle que j’imaginais que le monde entier allait partager mon étonnement et mon excitation face à cette nouvelle pop “bigger than life” plus excitante que tout ce qui avait existé précédemment. Et en fait, pas du tout.
Non seulement la majorité des gens de mon entourage s’en foutait royalement, mais ma nouvelle passion était accueillie, au mieux avec une indifférence polie, au pire avec une pointe de sarcasme. Lorsque je vivais à Paris, je sortais avec un étudiant hongkongais, et aujourd’hui mon copain est thaï. Donc forcément mon amour pour la k-pop ne pouvait être que le résultat d’un fétichisme un peu malsain porté vers tout ce qui pouvait être asiatique de près ou de loin, et tout le monde trouvait ça bizarre ou gênant.
Certes, mon premier visionnage du clip de “Sorry Sorry” des Super Junior, cette armée de bogosses sexy impeccablement coiffés, avait été un choc émotionnel. Mais en k-pop, moi j’aime surtout les filles. Leurs chorégraphies trop cute, les mélodies ultra sucrées. En hommage à cette nouvelle obsession, j’avais même appelé mon chat Aegyo (le nom coréen des poses mignonnes adoptées par les idols).
Tout le monde autour de moi pensait sans doute que ce serait une “phase”, que ça allait me passer une fois qu’on arrêterait de danser bourrés sur “Gangnam Style”. Sauf que 10 ans plus tard, je suis toujours accro, ce qui fait de moi le seul quarantenaire fan de k-pop de mon entourage.
Dans le mauvais âge à la mauvaise époque
Dans une (excellente) étude universitaire publiée cette année, on note que beaucoup de fans se sont intéressés à la k-pop pour se démarquer des autres. Et c’est peut être un peu pour ça que j’aime cette musique, au fond.
J’ai toujours été un fervent défenseur de la pop la plus décomplexée qui soit. De celle qui fait râler les hétéros en soirée, la vraie musique de folle furieuse quoi. J’ai passé une partie de mon adolescence (dans les 90’s) tiraillé entre le grunge et l’eurodance, et aujourd’hui encore, j’ai une défiance naturelle envers tout ce qu’on voudrait m’imposer comme le bon goût officiel.
Etre fan de k-pop après 40 ans, c’est très bizarre de notre point de vue d’occidentaux. Les médias mainstream nous la présentent encore comme une musique un peu abrutissante et jetable destinée à un public de jeunes filles. Et je pense qu’en France tout particulièrement, le pays qui a subi dans les années 90 la déferlante de nos “boys bands” locaux (objectivement atroces), on n’est pas prêts à valider les goûts esthétiques des adolescentes (et je n’évoque même pas notre proverbial sexisme qui a toujours mis en avant, dans la presse musicale notamment, le point de vue de jeunes journalistes mâles hétérosexuels).
Avoir les mêmes goûts musicaux qu’une gamine de 13 ans pourrait me poser problème, sauf que pas vraiment. A vrai dire, dans une époque où on parle beaucoup d’assumer la fluidité des genres sexuels, je trouve assez drôle et libérateur d’être un daddy barbu en surpoids qui rêverait d’être Lisa de Blackpink. Ca vous met mal à l’aise ? Peut être que vous n’avez pas réglé votre problème d’âgisme, celui qui vous fait hurler quand Madonna veut ressembler à une strip teaseuse de 25 ans, ou qui vous donne le droit de décider d’un âge limite pour sortir en boîte en nuit.
Le truc, c’est que je n’ai pas du tout envie d’être assigné à des goûts et des passions censés être de ma génération. Bien sûr, je me sens trop vieux pour suivre certains rites k-pop. J’ai conscience que ce serait ridicule de répéter des chorés dans mon salon. Alors je vis le truc souvent par procuration, en regardant des vidéos de dance covers, un peu désolé de n’être pas né à la bonne époque : si j’avais eu 20 ans aujourd’hui, je serais surement dans un dance crew en train de me la donner sur “Pink Venom”.
Ce qui me fascine dans le monde des fans de k-pop, c’est de voir à quel point une passion peut rendre de jeunes gens incroyablement créatifs, les aider à se rencontrer et à sortir de leur bulle, surtout via les dance covers d’ailleurs. Je remarque que ce sont souvent les mecs les plus timides et effacés dans la vie qui débarquent sur le dancefloor des clubs en Asie pour taper leur meilleure choré sur “Next Level” ou “How You Like That”, avec l’énergie et la férocité de gars qui veulent marcher sur le monde. J’aurais aimé avoir connu tout ça quand j’étais plus jeune.
Escapism asiatique vs morosité occidentale
Ce qui revient souvent lorsque les gens parlent de leur passion pour la Hallyu (la vague pop culturelle coréenne), c’est à quel point la k-pop est un échappatoire face à un quotidien plutôt angoissant.
Mais quittons la Corée cinq secondes. J’ai un rapport qu’on pourrait qualifier d’addiction aux séries “boys love” tournées en Thaïlande. Encore une fois, un produit culturel plutôt destiné à un public de jeunes meufs, qui met en scène des histoires d’amour gays dans un contexte hors de toute réalité : dans ces séries, tout le monde est ok avec l’homosexualité, et les garçons, ultra pudiques, mettent dix épisodes à se toucher le bras en rougissant. Bref, dans l’immense majorité des cas, on est sur du puppy love un peu grotesque, et ça ne reflète en rien la vraie vie des LGBT+, ce que beaucoup de gens reprochent à ces séries.
Mais c’est justement parce qu’elles montrent un monde idéal sans heurts, sans homophobie et sans violence que ces séries sont tellement appréciées, et même par des mecs de mon âge (qui les regardent en secret, je le sais de source sûre).
Pourquoi fuir le réel ? Parce qu’avoir été un ado gay dans les 90’s, sans internet, sans possibilité de rencontres hors de notre cercle de proches, c’est avoir été privé d’adolescence amoureuse. Tous les mecs de ma génération sont passés directement du placard à la glauquerie des sites de rencontres, sans connaître les émois amoureux du lycée comme tous les hétéros. Et pour certains d’entre nous, ça a créé un manque affectif semblable à un trou béant qui ne sera probablement jamais comblé.
Du coup, je me retrouve à chialer comme une madeleine devant les épisodes de I Told Sunset About You, et fuck you, parce que ça me fait un bien fou. J’ai découvert les BL pendant le premier confinement, et je pense sérieusement qu’ils m’ont aidé à ne pas sombrer dans la dépression à ce moment là.
A l’heure où toutes les chansons pop occidentales, de Billie Eilish à Miley Cyrus, parlent de santé mentale, de solitude, de rupture amoureuse, de harcèlement moral ou de mecs toxiques, où les séries US du type Euphoria creusent un sillon d’angoisse hardcore, j’ai décidé que j’allais me gaver jusqu’à la gueule de clips de Twice et de boys love thaï.
Depuis quelques années, j’ai quand même l’impression que la pop culture asiatique ressemble à une contre-programmation radicale face à la morosité des produits culturels occidentaux. Il y a évidemment dans la Hallyu bon nombre de séries ultra violentes (de Squid Game à All Of Us Are Dead), mais le soft power asiatique amène quand même le plus souvent un antidote de douceur et de légèreté à des gens qui, comme moi, sont souvent sujets à la mélancolie et se sentent agressés par l’époque.
Amoureux lucide
Même si souvent je me sens un peu seul avec ma passion pour la k-pop, être un fan de 40 ans a quand même plus d’avantages que d’inconvénients.
A la quarantaine, tu as le recul nécessaire pour connaitre l’arrière cuisine souvent rance de l’industrie du divertissement. Et à moins d’être un peu perturbé mentalement, tu n’as plus de réflexes de “fan” et la naïveté ou la toxicité qui vont parfois avec.
Tu es allé au delà de l’éternelle grille de lecture des médias, qui voient dans la k-pop un phénomène passager et inconséquent, une erreur de jeunesse de gamine écervelée, un business moche, une musique sans âme. A 40 ans, tu as connu toutes les modes teenage qui ont précédé, plus rien ne te surprend vraiment. Et par conséquent, je considère que j’ai une chance inouïe de pouvoir apprécier à sa juste valeur l’univers de la k-pop, en étant admiratif de sa puissance esthétique, mais aussi en connaissant tous les rouages, tout le storytelling douteux.
Autre avantage non négligeable : à 40 ans tu as passé l’âge de te ruiner dans le merch de la k-pop, et dépenser cent balles dans un lightstick ne te viendrait même pas à l’idée. Déjà parce que ça n’irait pas du tout avec la déco du salon, mais aussi parce qu’avec tout cet argent tu pourrais t’offrir… un tiers de place de concert pour Blackpink !
A mon âge, tu comprends aussi que la k-pop est une musique qui, hélas, véhicule des idées plutôt à droite de l’échiquier politique. Les agences se plaisent à raconter que les idols donnent tout pour leurs fans, qu’ils ne sont rien sans eux, poussant à l’acte d’achat pour “soutenir” des groupes dont les membres, en échange, se tuent à la tâche dans des slave contracts, coincés entre dortoirs et salles de répète avec une totale privation de vie privée et amoureuse.
Et ça, qu’on le veuille ou non, ce sont des valeurs de droite, que les maisons de disques ont longtemps cherché à démocratiser voire normaliser, favorisant tous les abus de pouvoir, foulant du pied le droit du travail, ignorant superbement la santé mentale des idols dans une course effrénée à la rentabilité (le cas récent du groupe Omega X est un effrayant condensé des pires pratiques). Aimer la k-pop à 40 ans, c’est savoir que dans “industrie du divertissement” il y a “industrie”, qu’il y a peu d’industries propres, peu de success stories sans dommages collatéraux, pas de triomphe de Blackpink sans sacrifice de 2NE1.
A 40 ans, tu as connu la mort de Kurt Cobain, Michael Jackson, Amy Winehouse et Whitney Houston. L’annonce de la séparation des Spice Girls, puis quinze annonces de reformation des Spice Girls. Tu as découvert que les meufs de t.A.T.u. n’étaient pas vraiment lesbiennes, que les Milli Vanilli ne chantaient pas vraiment sur leurs disques. Tu as connu les Take That et One Direction, tu as vu Britney se raser le crâne et Lady Gaga s’ouvrir le bide aux VMAs. Autant vous dire que quand Blackpink se sépareront tôt ou tard, je serai un peu triste cinq minutes, mais ma vie reprendra son cours immédiatement après. J’en ai vu d’autres.
K-vétérans
Bien sûr, grâce à Club Corbeille notamment, j’ai pu rencontrer une poignée d’amis qui partagent le même enthousiasme pour la pop coréenne. Julien, alias Monsieur Parapluie sur YouTube, tente régulièrement de me convaincre de venir sur son serveur Discord à la thématique k-pop pour parler musique avec les autres membres. Mais quand je me rends compte de la moyenne d’âge des participants, je préfère m’abstenir. Pas envie d’être le vieux tonton blasé et dépassé du groupe, de me sentir en total décalage au milieu d’une ribambelle de jeunes fans en surchauffe. Je me contente d’observer tout ça de loin, avec bienveillance et une pointe de nostalgie.
Mais un jour, qui arrivera plus rapidement qu’on ne le pense, tous les gars et toutes les meufs trentenaires fans de k-pop auront eux et elles aussi 40 ans. Statistiquement et compte tenu de l’ampleur grandissante du phénomène, ils seront plus nombreux qu’aujourd’hui dans quelques années, et je serai curieux de voir de quelle manière ils vivront et assumeront leur statut de vieux fan. En attendant ce jour, je ne sais pas si mon “coming out” sera utile ou inspirant à qui que ce soit, mais n’oubliez jamais qu’en musique, il n’y a pas de plaisir coupable. Allez je vous laisse, j’ai un épisode de Spill The Tea à regarder.
I relate soooo Bad ! Je viens de me mettre à la K-pop il y a littéralement 2 semaines (j'ai eu attendre le sserarim, New jeans et la 4th gen mais mieux vaux tard que jamais) j'ouvre la boîte de Pandore, et ya tout qui m'explose au visage ! Merci pour ton témoignage et tes mots si bien écrits 💘💘💘
Supeeeeerbe article.
Un condensé d'une expérience en tant que fan de Kpop et de d'amoureux de musique tout court. Aimer les artistes, être ravi à chaque nouveauté, secouer la tête à chaque nouveau scandale des coulisses de l'industrie...