Super Bowl : la nouvelle Rihanna mania
Quand la plus jeune retraitée de la pop reprend du service, le monde entier s'emballe.
Depuis une semaine, on ne parle que de ça. Le show de Rihanna à la mi-temps du Super Bowl, minimaliste, fashion et futuriste, a impressionné les fans et le grand public dimanche dernier. La nostalgie Rihanna s’est emparée de Spotify : les écoutes de son back catalogue ont augmenté de 640% sur la plateforme aux Etats-Unis, alors même qu’elle n’a pas sorti d’album depuis 2016.
La performance a réuni plus de 118 millions de téléspectateurs dans le monde. C’est la deuxième mi-temps la plus regardée derrière celle de Katy Perry en 2015. Plus étonnant encore, le show de Rihanna a même dépassé l’audience du match (113 millions).
Au delà de la qualité du spectacle, des impressionnantes plateformes qui surplombaient la pelouse du stade, jusqu’au baby bump annonçant sa nouvelle grossesse, pourquoi le monde entier est-il à nouveau obsédé par l’héroïne nationale de la Barbade ?
Silence radio
Sept ans. Déjà sept ans se sont écoulés depuis Anti, le dernier album de Rihanna, dont la genèse avait été très longue et compliquée. Accueilli relativement froidement à sa sortie, c’est un disque qui est devenu culte tant ses sonorités et ses ambiances étaient en avance de plusieurs saisons sur ce qu’allait devenir le paysage musical US des années plus tard. Entre r’n’b sinistre, vibes tropicales paresseuses et soul torride sur des titres extrêmement courts, Anti a anticipé la pop de TikTok, du Billboard et de nos playlists d’aujourd’hui et mis en lumière SZA, devenue depuis la superstar de 2023.
Et ensuite, plus rien. Accaparée par ses activités dans la fashion, Rihanna a mis de côté la musique pour vendre des soutifs et du maquillage, devenir la popstar la plus riche du monde, pour enfin revenir discrètement cet hiver avec une ballade un peu lourdingue sur la B.O. du dernier Black Panther.
Sept ans de silence, c’est long. Tellement long qu’une ado qui fêterait ses 16 ans aujourd’hui avait 9 ans à la sortie d’Anti, et n’a donc probablement entendu parler de Rihanna que pour ses défilés Savage x Fenty. Le show du Super Bowl était donc très attendu par les fans, mais aussi et surtout par de jeunes curieux qui ont peut-être entendu “We Found Love” pour la première fois de leur vie lors du show (ce qui expliquerait pourquoi ce fut sa chanson la plus recherchée sur Shazam pendant l’évènement).
L’incarnation du cool
Sept ans sans musique, et on avait presque oublié à quel point la personnalité badass, “unapologetic” et délurée de Rihanna est l’une des raisons pour lesquelles on l’aime tellement. Avec son sens du style si particulier (moderne, casual, sexy et excentrique) et son franc parler de meuf de la Barbade dont on imagine l’adolescence à fumer d’énormes oinj’ sur la plage en fricotant avec les pires loubards du coin, Rihanna est naturellement, sans forcer, l’une des meufs les plus cool de la planète.
Son couple avec A$AP Rocky est un modèle d’inspiration pour tous les jeunes hétérosexuels des centres urbains. Chacune de ses apparitions, en interview ou au Met Gala, chacun de ses tweets, la placent très au dessus de ses copines têtes couronnées de la pop, sur l’échelle du fun. Moins politisée qu’une Beyoncé, moins romanesque qu’une Taylor Swift, Rihanna réussit l’exploit d’être une milliardaire qui a gardé sa street cred. Et sa nonchalance à l’épreuve des balles cache surtout une intelligence et une acuité hors pair, un talent pour dénicher ce qui va exciter les foules et faire bouger nos gros boules.
Nostalgie des bangers
On s’en est vite rendu compte lors du Super Bowl : Rihanna a le record absolu de tubes pop de l’ère du streaming. Entre 2005 et 2016, elle a sorti plus d’une quarantaine de singles, parmi lesquels plus de la moitié sont devenus des tubes intergalactiques.
Du coup, le choix des chansons à caser sur les 13 minutes de show ont été un tel casse-tête que la setlist a dû être modifiée 39 fois ! Au final, dimanche dernier, on a assisté à un medley des plus gros bangers d’une décennie où Lady Gaga, Katy Perry, Beyoncé et Britney Spears se tiraient la bourre toutes les semaines dans les charts.
Les tubes de Rihanna, c’est l’ère des albums blockbusters, des campagnes médiatiques où les maisons de disques dépensaient sans compter, à coup d’events et de payola, pour protéger les locomotives de la pop qui soutenaient alors toute l’industrie. Et à l’époque on n’était pas très regardant sur le bilan carbone (vous vous souvenez du 777 Tour où l’on faisait voyager des journalistes pendant 7 jours dans un Boeing à travers le monde ?).
Rihanna le sait mieux que quiconque : pas besoin de se casser la tête à proposer des titres inédits (qu’elle n’a probablement toujours pas enregistrés) alors qu’il suffit de jouer les hits. Son back catalogue, de “Umbrella” à “Bitch Better Have My Money”, est un trip nostalgique qui nous replonge dans une époque dorée où la pop américaine et ses tubes mainstream pétaradants régnaient sans partage sur le monde.
Au fond, et même si ça nous donne un sacré coup de vieux, il faut se rendre à l’évidence : des titres en or massif à la pelle ? Une longue absence discographique ? Et voilà : Rihanna est devenue l’équivalent du groupe ABBA pour les génération Z et Alpha.
Mattifying Powder Queen
Est-ce que Rihanna, après cette piqure de rappel sur son brillant passé, va revenir aux affaires, ou est-ce qu’elle a provisoirement laissé tomber la musique ? Personne n’en sait rien. Mais une chose est sûre, ses activités de papesse du fond de teint lui prennent désormais une bonne partie de son temps.
Dimanche soir, personne n’a pu passer à côté du très peu subtil placement de produit pour la poudre matifiante Fenty. C’est que Rihanna, à la suite de Beyoncé ou Kanye West, a très vite anticipé, à la fin des années 2010, l’ère de la fusion entre le monde de la pop et celui de la mode. Même si les partenariats entre les popstars et les marques existent depuis l’origine des temps, aujourd’hui les deux univers s’interpénètrent tellement, dans des collaborations de plus en plus prestigieuses, qu’on ne sait plus où commence le clip et où se termine le défilé.
En 2023, Pharrell Williams est le nouveau directeur artistique de Louis Vuitton et ce sont les maisons Dior, Saint Laurent, Chanel et Celine qui signent les chèques des chanteuses de Blackpink. Et dans un monde de réseaux sociaux où se côtoient, dans un même écosystème, influenceuses mode, youtubeurs culture et artistes populaires ou émergents, on ne sait plus si Rihanna nous vend des streams ou des boxers en satin. C’est l’ère du tout “lifestyle”, et Riri a été l’une des pionnières du truc. Avant, la mode habillait les popstars. Aujourd’hui, c’est Rihanna elle-même qui s’occupe de ta garde-robe et de ta skin routine.
La guerre des fans n’aura pas lieu
Le Super Bowl est sans conteste un comeback réussi pour Riri, mais l’énorme visibilité retrouvée de celle qui était en vacances de la pop depuis sept ans a évidemment réactivé un vieux phénomène qu’on avait un peu oublié : les stan wars.
Depuis que Rihanna est passée de starlette reggaeton de la Barbade à superstar mondiale, les fanbases de ses “rivales” ne lui ont jamais lâché la veste. Mais il y a un club de fans qui lui en veut particulièrement : la BeyHive, les fans de Beyoncé.
On ne se souvient plus vraiment de ce qui a bien pu déclencher cette animosité qui règne depuis toujours entre les fans de Beyoncé et les Navy (les fans de Rihanna). Une chose est sûre, à chaque nouvelle actualité de Riri, une horde de fans de Beyoncé débarque sur les réseaux pour nous démontrer la supériorité de leur chanteuse préférée. Et de nous expliquer que Rihanna est molle et paresseuse, qu’elle ne chante pas bien, qu’elle n’a aucun talent, qu’elle est surcotée.
On pensait un peu naïvement qu’avec l’émergence récente d’une forme de discours de bienveillance féministe, on allait désormais nous épargner ces conneries. Que de mettre en compétition deux femmes noires, puissantes et influentes au lieu de leur rendre hommage, n’était plus d’actualité. Mais visiblement, certains fans n’ont pas mis leur logiciel à jour.
Il faut se rappeler du level de haine qu’avait subi Rihanna à l’époque de l’affaire Chris Brown en 2009, lorsque les fans de Beyoncé repostaient tous les jours sur Twitter les images du visage tuméfié de la chanteuse après son agression.
Mais en 2023, signe des temps, les internautes ne tolèrent plus les incessantes attaques de fans, et remettent vite les haters à leur place. En comparaison avec ce qu’on lisait il y a dix ans, on voit aussi que les fans se sont assagis, et les guerres sanglantes d’autrefois se règlent aujourd’hui à coup de ratio. Et puis surtout, même si on a forcément une préférence, tout le monde a bien compris que comparer les talents de Beyoncé et Rihanna était aussi pertinent qu’une battle entre le fromage et le dessert, la mer et la montagne.
Alors, que retenir de cette mi-temps du Super Bowl ?
La discographie de Rihanna tient encore la route, et ce qu’on croyait être des tubes biodégradables à l’époque sont devenus les classiques d’aujourd’hui, qu’on chante avec des trémolos dans la voix en se rappelant le bon vieux temps de l’abondance et de l’insouciance.
Malgré ses longues absences, Rihanna n’a rien perdu de son swag (pour les plus jeunes d’entre vous, c’est une expression qu’on utilisait en 2011) et de sa capacité à dompter un stade, le tout enceinte jusqu’aux yeux et suspendue sur une plateforme dans les airs.
On peut toujours espérer que le show de Rihanna et la vague de nostalgie qu’il suscite aient été pensés depuis le début comme un statement sur l’héritage musical de la popstar, une façon de rappeler qu’elle est toujours dans la place, et préparer les esprits pour mieux nous servir… un nouvel album… un jour ?